*_Lysandre } Ou la chenille au narguilé

Les lumières dansaient devant ses yeux. Telles de petites fées virevoltant dans la pièce aux couleurs vives, malgré la fumée qui brouillait parfois la vue. Une odeur âcre s'élevait dans les airs, mélange de parfums d'encens trop prononcés et de brûlé. Au centre de la pièce, allongée la tête en bas, les jambes sur le dossier du fauteuil de couleur pourpre, une jeune femme riait aux éclats. Mais qu'y avait-il de si drôle ? Elle seule le savait. Comme à son habitude, la brunette était partie dans un autre monde. Un monde haut en couleurs qu'elle avait déjà visité à maintes reprises. À nouveau, elle partit dans un éclat de rire sans se rendre compte que la porte d'entrée s'ouvrait, laissant s'échapper l'épaisse fumée qui s'était accumulée durant les heures précédents. Une bouffée d'air frais pénétra dans la pièce en même temps qu'un jeune homme à la tignasse dorée et au sourire des plus charmeurs. En la voyant ainsi prostré, il leva les yeux au ciel et s’approcha lentement, réajustant sa cravate.

- « Lysandre ? Lys, tu crois pas que ce serait le moment de te préparer ? La fête t’attend. »

Soudain, comme sortie d’un songe, la brunette leva ses yeux de miel vers le jeune homme qui la regardait d’un air amusé. Son rire reprit alors de plus belle mais lorsqu’elle prit la parole, sa voix était des plus sérieuses.

- « Est-ce moi qui suis à l’envers ? Ou est-ce le monde entier qui est sens dessus dessous ? »

Un sourire étrange vint s’afficher sur ses lèvres fines puis, sans crier gare, elle effectua une sorte de roulade qui lui permit de se remettre sur pieds sans le moindre mal. Une fois debout, elle observa son visiteur comme si c’était la première fois qu’elle le voyait. Ses yeux pétillaient de bonheur, quoique les drôles de pilules qu’elle avait prises tout à l’heure devaient y être pour quelque chose. Elle s’approcha du jeune homme d’une façon presque sautillante et reprit la parole.

- « Pourquoi tant de sérieux ? Même les fêtes ont pris des allures de cérémonie. »
- « N’empêche qu’on est en re-… »
- « Chht. dit-elle en déposant son index sur les lèvres du blondinet. Elzear, ce n’est pas la fête qui attend. Il n’y a que les gens impatients pour dire une telle ânerie. »

Il sourit. Elle partit à nouveau dans un rire cristallin. Finalement, elle partit se changer dans la pièce d’à côté, revêtant une fine robe de soie rouge ainsi que des escarpins de la même couleur. Elle avait noué ses cheveux d’un ruban, ce qui lui donnai l’allure d’une fille sage, tout droit sorti de l’école. Cependant, la cigarette qu’elle tenait en main faisait vite déchanter ceux qui pouvaient encore y croire. Quoique la cigarette n’avait pas réellement l’allure d’une cigarette ordinaire. Les lèvres de la jeune fille s’étirèrent à nouveau avant de rejoindre son ami et de partir en direction de la fête où le non-anniversaire était organisé. Un non-anniversaire qui allait probablement se révéler mouvementé. Un peu partout, accrochées aux branches d’arbres, des lanternes multicolores illuminaient les lieux. Une musique étrange, douce, s’élevait de l’une d’elles. Quelques tables étaient éparpillées un peu partout dans la clairière et regorgeaient de mets succulents dont la plat principal restait tout de même l’omelette aux champignons. Le plat préféré de notre brunette, sans nul doute. Les décorations étaient vives, colorées. À trop les regarder, elles faisaient tourner la tête. Des bougies parfumées égayaient le tout ainsi que, sur chaque table, un narguilé à la disposition de tous. Aux parfums différents les uns des autres.
Lorsque Lysandre arriva, accompagnée de son ami, tous la saluèrent à grands cris de joie. La brunette écrasa alors sa cigarette de son talon et avança vers chacun sans vraiment se soucier de ce qu’elle leur disait. Un sourire béat aux lèvres, elle prit ensuite place à sa table, là où étaient déposés présents et gâteaux. Elle ouvrit le premier qui lui tomba sous la main et découvrit un chapeau haut de forme qu’elle s’empressa de mettre avec joie. Elle en prit alors un autre, puis encore un autre, jusqu’à ce que le tas se soit envolé. Finalement, lorsque vint le moment de chanter la chanson de non-anniversaire, elle se leva attrapa quelques champignons qui se trouvaient dans un panier près d’elle. Elle se leva sur sa chaise puis monta sur la table tout en croquant l’un de ses champignons qu’elle disait « magiques ». Et alors que tous chantaient en son honneur, elle leva les bras, envoyant valser les autres champignons sur les invités et tourna sur elle-même, les yeux tournés vers le ciel, un large sourire sur ses fines lèvres. La musique lancinante et les pilules colorées eurent finalement raison d’elle et Lysandre s’effondra dans un profond sommeil. L’emportant dans des rêves encore plus colorés – si c’était possible – que sa réalité.

Le soleil était désormais loin derrière l’horizon. Il avait laissé sa place à une nuit fraîche et étoilée. Le fin croissant que formait la Lune éclairait à peine cet endroit si obscur. La brise s’était levée, mais les immenses haies du labyrinthe la retenaient, protégeant les malheureux qui se trouvaient encore à l’intérieur. Quoique malheureux n’était peut-être pas le terme approprié. Se perdre dans le labyrinthe en pleine nuit ? Seule ? Sans aucun moyen de trouver la sortie ? Où était le problème ? La jeune Lysandre ne comprenait pas pourquoi certains paniquaient dans pareil cas. L’endroit était calme, probablement désert. Elle était tranquille pour quelques temps. Avançant d’un pas lent, elle resserra son blouson avant d’attraper son paquet de cigarettes qui se trouvait dans l’une des poches extérieurs. Elle en porta une à sa bouche et l’alluma à l’aide de son briquet. Durant quelques secondes, un lueur incandescente éclaira son visage qui, ce soir-là, n’exprimait ni hystérie, ni transe quelconque. On y lisait le calme et la quiétude. Peut-être aussi l’assurance de se sentir bien. De comprendre des choses que d’autres ne comprenaient pas. Par exemple, se perdre dans ce labyrinthe n’était pas plus angoissant que de se perdre dans sa propre existence. Un sourire naquit sur les lèvres de la belle. Lysandre était tellement persuadée d’avoir raison qu’elle en riait toute seule. Pauvres fous qui n’y comprendraient jamais rien, ô comme elle les plaignait.

La brunette continua d’avancer d’un pas souple, léger. La main qui ne tenait pas la cigarette frôlait la haie qui se trouvait près d’elle. Et elle ne la lâchait pas. Elle suivrait ce chemin sans discontinuer, car elle le savait, il la mènerait à la sortie. Comment, vous ne le savez pas ? Pour sortir d’un labyrinthe, il suffit de toujours tourner dans la même direction. Ses doigts fins étaient d’un blancheur de mort sous la pâle lumière de la Lune. Ils passaient sur les branchages comme une brise éphémère. Les yeux de la belle se posèrent alors sur les étoiles au-dessus de sa tête. Comme la nuit était belle. Mais comme elle aurait aimé prendre avec elle l’un de ces champignons qu’elle appréciait tant. Coinçant sa cigarette entre ses lèvres, elle porta sa main à sa poche afin d’y trouver quelque chose qui ne s’y trouvait pas. À défaut, elle découvrit une petite pilule dorée, brillante, qu’elle s’empressa d’avaler avant de tirer une nouvelle bouffée de nicotine. La fumée s’échappa de ses lèvres et elle continua sa marche au cœur de la nuit. À mesure que les secondes passaient, Lysandre se sentait de plus en plus légère. L’air frais de la nuit eut tôt fait de la requinquer et elle pressa un peu plus le pas. Voilà qu’elle avait envie de s’amuser. Les chemins sinueux l’emmenaient parfois dans des culs-de-sac, la faisaient tourner et retourner sur des sentiers qu’elle pensait avoir déjà empruntés, bien que sa main n’ait pas quitté la haie depuis le début de son expédition. Puis soudain, elle vit une silhouette un peu plus loin devant elle. Sans nul doute masculine. Était-ce Elzear ? Ce serait là une bonne nouvelle, car elle aurait trouvé un moyen de s’amuser un peu. Ce jeune homme était un véritable délice, elle aimait se trouver dans ses draps ou l’attirer dans les siens. Et ce sentiment était réciproque, elle le savait. Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres et elle se hâta dans sa direction.

- « Tiens, Lysandre. Je ne pensais pas te trouver ici. »

Ce n’était pas Elzear, mais la surprise était tout aussi heureuse, bien que différente. Le Roi de Cœur se tenait devant elle et lui souriait, probablement conscient qu’elle était à nouveau dans un état second.

- « C’est lorsqu’on arrête de chercher qu’on tombe sur ce qui nous est vraiment utile. »

La brunette sortit son paquet de cigarette et le tendit à Zadig. Il accepta sans hésiter, comme d’habitude. Non, vous ne rêvez pas. Le roi aussi avait l’habitude de se laisser aller. Là, il ne s’agissait que de cigarettes, mais il ne disait pas non à quelques champignons ou pilules magiques de temps à autres. C’est pourquoi il venait parfois la voir. Elle et personne d’autre. Elle avec qui il pouvait discuter de longues heures de sujets aussi sérieux qu’incongrus. Et Lysandre se demanda alors si la Reine serait jalouse d’apprendre que son Roi allait parfois rejoindre la jeune femme qu’il avait appris à apprécier avec le temps. Peu importait, après tout, elle n’avait rien à se reprocher. Ils ne faisaient que discuter après tout. La brunette sourit au jeune homme qui reprit :

- « Tu comptes pas rester ici toute la nuit, si ? »
- « Seulement si je ne trouve pas la sortie avant. »

Ses yeux étaient sérieux, mais sa bouche souriait. Elle affichait ce petit air qui la rendait si étrange aux yeux des gens. Ils ne savaient jamais si elle disait les choses pour rire ou non, d’autant plus qu’elle n’était que rarement dans son état normal.

- « Viens, on continue. »

Lysandre reprit son chemin, la main sur les branches des haies, et le Roi ne tarda pas à la suivre. La jeune femme repartit dans un délire qu’elle seule comprenait. Ou peut-être que lui aussi finalement. Peut-être avait-il pris l’habitude de déchiffrer ses paroles si étranges. Et c’est au petit matin qu’il découvrirent la sortie du labyrinthe. Le soleil leur souriait déjà et annonçait une belle journée. La brunette exécuta un tour sur elle même, comme un pas de danse, une valse en solitaire, avant de reprendre le chemin qui menait à sa maison.