Chapitre II - L'une d'entre les plus belles {Callisto}

Il s'agissait d'un froid matin d'hiver; c'était pourquoi le soleil entamait sa lente descente à l'horizon, et que la chaleur était insupportable. Je passais une main tremblante sur mon front, où perlaient indéniablement bien que déniablement des gouttes de sueur. La chaleur, dis-je ? La chaleur, et peut-être même cette vingtaine de champignons que j'avais englouti la veille au soir, ou la veille au matin. A moins que je n'en ai jamais absorbé. L'esprit aussi embrumé qu'à l'habitude, je venais de décider subitement que j'en avais ingurgité assez (à moins que le patron de la taverne du Y n'ait décidé que j'y squattais depuis assez longtemps et qu'il n'ait décidé de me mettre à la porte. Mais pour cela, il aurait fallu lui poser la question, et je n'étais même pas sur qu'il sache y répondre lui-même. Dans le doute, continuons notre histoire.), et je me décidais à me diriger en direction de... de là où je voulais aller. Où voulais-je aller ? Le savais-je ? Oui. Ou non. Ou oui. Ou non. Ou...

Sans réfléchir, je sortis de la taverne d'Y. Je pris à droite, ou à gauche; puis encore à gauche, ou à droite. Je venais de pénétrer dans le jardin des fleurs, par pure mégarde ; un frisson d'angoisse me parcourut l'échine : là-bas, il y avait trop de filles. Beaucoup trop à mon goût. Bon, d'accord : Domitille était une fille; mais, il s'agissait avant tout de Domitille. Or les fleurs qui se prélassaient au soleil cherchaient constamment à se faire belles, à discuter d'elles. Elles voulaient qu'on les trouve belles, et la manière dont je le disais ne leur plaisait pas. Pour moi, toutes les filles (à part Domitille, cela va de soi) se ressemblaient; toute les filles étaient jolies. Et cela -cela- ne leur plaisait absolument pas. La dernière fois que ma réponse n'avait pas convenu à une violette, celle-ci n'avait pas hésité à me pousser à l'eau. Et depuis que ma fourmi avait grignotté ma tarte à la groseille, je ne pouvais plus mettre un pied dans la rivière. Même si je savais nager et que je n'avais pas peur de l'eau, cela va de soi.

Manque de bol, la rivière fleurie se trouvait juste devant moi. Charmante, son eau semblait si purement poluée, si limpidement compacte, que l'envie d'y tremper une épaule me chatouilla le nez. Je jetais un coin en oeil aux algues qui séchaient au soleil de midi ; puis, prudemment, j'avançais mon épaule gauche. Aïe. Comment mouiller ma seconde épaule sans que mon torse ne soit trempé ? Mon épaule gauche toujours à l'intérieur de l'eau, je me mis à gratter la plante de mon pied avec un de mes dix doigts (peu importait lequel), tout en cherchant une issue à cette solution fort embarassante.

C'est dans cette position fort particulière que l'une des plus belles fleurs du pays me trouva.

Tout à ma concentration, je tentais tout d'abord en premier lieu du début, d'avancer mon second coude.

"Celui de l'autre bras."

Entendons-nous bien : je ne suis pas difforme au point d'avoir deux coudes sur chacun de mes bras. Je tentais donc l'expérience, qui se révéla infructueuse pour la simple et bonne raison que mon autre main gratouillait la plante de l'un de mes pieds. Gauche ou droit, je ne me souvenais plus lequel.

"Et puis, de toutes manières, le côté gauche change en fonction de la position dans laquelle on se trouve."

J'étais particulièrement concentré, désormais, sur mon triste dilemme : puisque je ne pouvais mettre qu'un seul coude à tremper dans l'eau, lequel devais-je choisir ? Si je favorisais le droit, j'étais certain qu'à coup sur mon coude gauche serait vexé, et me le ferait payer pour au moins une semaine - en, par exemple, refusant de se plier un jour que j'essayerais de ramener à moi un bocal de champignons magiques. Je le savais, mon coude gauche était particulièrement succeptible : il m'avait déjà fait le coup, et je ne m'en étais toujours pas remis. Mon coude droit, au contraire, était de largement le plus aimable et le plus serviable : dès qu'il s'agissait de ramener une pillule verte, bleue, ou orange (voir les trois à la fois), il ne se faisait pas prier.

Mais cela aurait-il été juste d'avantager mon coude gauche alors que le plus gentil des deux était le droit, et qu'il méritait tout autant que le gauche de faire une petite baignade ? De plus, ces derniers temps, ce dernier était devenu de plus en plus excécrable. Pour exemple, le jour où il...

« Et bien Stanislas, que cherches-tu à faire dans cette position si particulière ? »

Je me croyais seul. Il ne fut donc pas étonnant que je sois moi-même étonné d'entendre une voix s'élever derrière moi. Mon étonnement fut par ailleurs si grand, que je fis un bond en l'air. Et, comme je trouvais que mon premier saut n'avait pas été assez élevé, je décidais d'en faire un second dans le but de battre mon précédent record.

L'herbe étant humide de rosée juste à côté du fleuve, je ne fus pas étonné de sentir mon pied glisser, et tomber à l'eau. Docilement, il ressortit de l'eau. Un pétale s'était accroché entre deux de mes doigts de pied.

"Ca me fait penser au jour où j'ai décidé d'apprendre à grimper aux racines des arbres. Il y avait du vent, et beaucoup de terre me rentrait dans les yeux."

Puis, une idée puissamment intelligente me traversant l'esprit, je me risquais à demander :

"Dis. Tu n'aurais pas un champignon -voir deux, ou trois, ou quatre- sur toi, par hasard ?"

Bah oui, je n'avais rien à perdre en posant la question. Si elle en avait, tant mieux. Si elle en avait, tant pis. Si elle n'en avait pas, tant mieux. Et si elle n'en avait pas, tant pis. Pas la peine, cependant, de rappeler à notre aimable lecteur, que j'avais passé mon lendemain à m'en empifrer.