Phoenix ▬ « Connais-toi toi-même ! »

En fin de journée, tandis que le soleil faiblissait et que les sombres lumières de la nuit s'allumaient une à une, une silhouette pour le moins singulière se détachait des longs buissons géants du Grand Labyrinthe. De loin, ça ressemblait seulement à un petit bout d'homme qui se baladait tranquillement, seul, la tête légèrement baissée et certainement insouciant. De près, ça avait plutôt l'air d'un jeune homme plutôt charmant par ses airs d'intellectuel charismatique qui se distinguait aussi par sa démarche – droite, légère et assurée – avec pour seule compagnie un livre qui l'absorbait totalement – alors que tout dans son apparence hurlait qu'il aurait du être entouré d'un troupeau de femmes – et certainement très inattentif aux yeux malicieux qui l'observaient sans perdre une miette du chemin qu'il suivait – tout droit, deuxième à gauche, première à gauche, troisième à gauche, rond point, première sortie, sixième à droite, quatrième à gauche, arrêt à une impasse puis reculons, première à droite, septième à gauche... . Il ne relevait pas ses yeux, braqués sur son bouquin, et ses lèvres charnues de couleur corail remuaient que trop doucement, qu'il entendit à peine lui-même sa voix agréable, légèrement rauque et encore un peu fluette. Les derniers rayons de soleil se reflétaient sur les reliures délicates du livre, ainsi que sur le titre, en ors, que l'on pouvait discerner : LA PEAU DE CHAGRIN.
Soudain, le jeune homme s'arrêta brusquement et releva la tête. Il regarda longuement et prudemment autours de lui, avec ce drôle d'air de se demander où est-ce qu'il se trouvait, tandis que les paires d'yeux disparaissaient. Ses yeux marrons, aussi exquis qu'un chocolat qui craque sous vos dents, scrutaient le moindre détail. Ce regard, dans lequel scintillait quelque secret de génie, ne cessaient de remuer pour devenir tous les recoins cachés du labyrinthe qui l'avait pris au piège avec une aisance plus que remarquable. Il soupira. – Il serait temps que tu regardes où tu marches – , murmura-t-il à sa propre intention.
Un bruissement. Il sursauta de surprise. Un autre, plus distincte, celui des plis d'une robe qui se mêlent aux buissons. Encore un, plus près. Il se braqua, prêt à se défendre avec son bouquin si les cartes l'attaquaient. Un pas. Un bruit de tressaillement de feuilles. Des pas, comme si l'inconnue courrait. Il se relâcha légèrement, mais restait sur ses gardes. Il avala difficilement sa salive, ayant reconnu la seconde personne « présente » dans le labyrinthe. Cependant, ce ne fut pas pour autant que ses muscles se détendirent, et même, ils semblaient se raidir pour devenir aussi durs que du diamant. – Pho, pho, Phœnix – , chantonna une voix qui se déplaçait rapidement en sautillant. Ces paroles, qui froissèrent le visage impassible du jeune homme, furent suivies d'un rire cristallin. Il serra la mâchoire. Elle était toute proche. – Pho, pho, Phœnix ! –
Une pause.
– Je suis super méga archi giga supra extra hyper ultra proche de toi – , débita la voix d'une vitesse fulgurante sans s'écorcher une fois, suivit d'un autre rire qui laissait deviner les bords de la folie qui habitait la personne.
Un silence presque gênant.
– PHŒNIX ! – Il sursauta, puis recula de quelques pas, précipitamment, pour échapper au monstre. – Oh ! T'es pas content de me voir ? – – Une famille entière de bisons rouges talonnent Bouton de Rose – , répondit-il, presque lassé. C'était une manie presque étrange que l'on retrouvait alors chez ce personnage : en sa seule présence, il parlait « normalement », puis en présence des autres, d'un quelconque autre individu, il parlait d'une façon jugée « poétique et énigmatique », comme les autres habitants du jardin des fleurs qui savaient se tenir. Il fronça les sourcils, ses yeux se plissèrent derrière ses lunettes aux verres épais. Le dénommé Phœnix recula encore et encore, s'apprêtant à fuir dès qu'il serait possible. La jeune fille blonde en robe de princesse avec une couronne à la taille démesurée qui se trouvait sur sa tête ne l'effrayait pas – pas encore – mais le collait aux basques tout au long de la journée... Ce qui avait le don d'allumer un petit phare qui se trouvait dans son cerveau et qui lui ordonnait de fuir si elle commençait à raconter trop de bêtises insoutenables. Cependant, comment retrouver son chemin dans ce titanesque labyrinthe ? Phœnix croisait les doigts pour que quelqu'un, ou quelque chose divertisse la soit-disant princesse pour qu'il puisse prendre ses pieds à son cou. – J'ai eu beaucoup de mal à te retrouver, tu sais ? Tu pourrais être un minimum content ! – Il soupira. Justement, il était tout le contraire. – La bêtise insiste toujours. – , dit-il pour simple réponse, sans quitter des yeux la blonde déguisée et sans paniquer non plus, ce qu'aurait fait tout autre personne qui se serait perdu dans le labyrinthe avec une tarée et un livre plutôt inutile dans ce genre de situation. Elle était vêtue d'un accoutrement vaporeux Rose et blanc et se trimballait comme un vrai personnage de l'aristocratie, dos droit, avec un air fier et méprisant pour tout ce qui l'entourait – hormis pour Phœnix, à ce que l'on pouvait voir. Elle le regardait avec des petites étincelles dans les yeux, chose qu'il regrettait profondément. Pourquoi n'allait-elle pas gambader innocemment dans la forêt au lieu de le suivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq jour sur trois cent soixantante cinq jours ? Il en avait ASSEZ. – Un esclave d'une action sera, celui qui perdra au cache-cache et qui ne retrouvera pas son chemin encore et encore; un pouvoir incontesté éphémère aura, celui qui sortira en premier du labyrinthe sans se faire attraper comme un lapin furieux. – , proposa-t-il en lui souriant d'un air adorable presque vrai. C'était quelque chose de dangereux, car si il perdrait, elle lui demanderait certainement de l'épouser ou de passer une nuit avec elle au moins. Mais la connaissant, elle accepterait, il en était sûr. – Ouais ! Moi, Sylbao Jalilah Windsor gagnerait et je ferais tout ce que je voudrais de toi ! – Phœnix, lui, n'en était pas aussi sûr... Car à force de se perdre dans le labyrinthe après de longues lectures, il s'était rendu compte qu'il prenait toujours le même chemin quand il marchait en lisant – étrange fait, soit, mais plutôt 'confortable'. De ce fait, si les buissons étaient gentils avec lui ce soir, il pourrait tranquillement retrouver son chemin sans avoir trop d'encombrements et ainsi, retourner chez lui ni vu ni connu tandis que Sylbao se tuerait à le chercher. La pauvre. Il se réprima un sourire.
Sylbao, après avoir gentiment accepté de compter en première, se retourna contre les buissons puis commença à énumérer les chiffres : – Six, trois, vingt-neuf, treize, un, quatre-ving-dix, quatre, trente-cinq, soixante-onze, douze, cinq, zéro, cent... – Et elle continuait, et continuait, tandis que Phœnix, lui, disparaissait en espérant haut et fort qu'il sèmerait Dame du Carnaval et au plus profond de son cœur qu'il rencontrerait Reine de cœur, celle qui faisait tournoyer ses esprits aussi vite d'un aiglon qui apprenait à voler du haut d'une montagne, et qui retombait, en chute libre. Oui, c'était ainsi qu'il se sentait, depuis qu'il n'avait plus de pensées pour lui, depuis qu'il n'avait plus le temps de réfléchir à son propre sujet ; en effet, tous ses songes et ses rêves les plus fous mais aussi les plus sages étaient emplis du visage, du regard, des lèvres, des formes parfaites du corps de Reine de cœur, qui était malheureusement protégée par Roi de cœur, car en réalité, si ce maudit Roi n'avait jamais existé, Bouton de Rose serait déjà partit enlever la Reine pour tenter de tisser le plus beau des amours sur une toile indestructible.
Bouton de Rose continuait à avancer alors que la voix de Dame du Carnaval s'estompait lentement. Son bouquin toujours dans la main, il marchait rapidement, pour essayer de distancer au plus vite Dame du Carnaval. Puis tout en progressant, il repensait aux yeux de Reine de cœur, aussi doux qu'un nuage Rose et que le bois poli avec tout l'amour du monde, puis il heurta un corps. Oh non. Dame du Carnaval l'avait rattrapé. Le stress l'envahit, tandis que l'image du regard revolver de Reine de cœur s'envolait. Puis il observa rapidement la personne avant de reculer de deux pas, empli d'une surprise énorme. Reine de cœur se trouvait juste devant lui, dans toute sa sublime, et de ce fait, Roi de cœur ne devait pas être bien loin. – En général, les vies semblent virer abrupt... Abruptement d'une chose à une autre, se... Se bousculer, se cogner... Se... Que... Que Madame Cartwright excuse la... la maladresse et l'inattention... De... De Bouton de Rose... – , bégaya-t-il, en remettant ses lunettes en place. Les yeux grands écarquillés, il ne pouvait détacher son attention de la beauté de Reine de cœur, qui semblait le jauger de haut en bas. Il la dévorait quasiment des yeux, recula, encore et encore, sans se retourner, sans oser détacher son regard de Reine de cœur, et disparut, en courant, hors d'haleine. Il en oublia même son livre qu'il avait fait tomber à terre.
Une dizaine de minutes après le début de sa course – il n'avait cessé de courir – il s'était de nouveau perdu. Mais était presque heureux. Il avait acquis pendant quelques minutes l'attention de Reine de cœur, ce qui faisait de lui l'homme le plus heureux du Pays des Merveilles. L'image de la souveraine, qui le regardait d'un air incrédule, n'avait pas quitté ses pensées tandis qu'il avançait, encore et encore, en se remémorant la scène. Quel idiot il avait été ! Pourquoi avait-il appelé Reine de cœur 'Madame Cartwright' ? Généralement, il l'appelait ainsi quand il se parlait à lui-même, comme pour se rappeler qu'elle ne pourrait jamais être à lui. Phœnix avait sortit de nom 'personnel' comme ça, sans s'en rendre compte. Le stress certainement. Mais il en était encore tout frémissant, il avait touché la peau de Reine de cœur ! Sa peau, douce comme de la soie, délicate et légèrement parfumée. De quoi faire battre son cœur pendant quelques semaines, au moins...
En essayant d'évacuer le stress, il tenta vainement de chercher la sortie, qu'il en oublia Sylbao. Avait-elle abandonné ? Pas sûr. Bouton de Rose soupira, puis avança, sur un chemin, choisi au hasard. Puis rapidement – coup de chance certainement – il retrouva la sortie et retourna chez lui, exténué, pour tenter de dormir avec la douce vision de Reine de cœur qui le hanterait agréablement. Puis avec la pensée qu'il ferait ce qu'il voudrait de Sylbao pendant quelques heures : il la ferait pendre par les pieds par les plus longues herbes du jardin des fleurs, pour qu'elle l'oublie un peu.