Uriel S. Dickinson | Rien n'est gris ; juste tantôt blanc, tantôt noir.

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Gaspard Ulliel

URIEL SEALIAH DICKINSON

dit The Double Face.

« Rien n'est constant dans ce monde que l'inconstance. »

Vous voilà bien attrapé ! Vous avez tardé à rentrer et vous voilà maintenant perdu au beau milieu du labyrinthe dans l'obscurité, faiblement éclairé par le croissant de lune. Comment allez-vous vous sortir de cette situation cauchemardesque ? Qui allez-vous rencontrer ?

Bien sûr qu'il aurait pu être hautement contrarié d'une telle mésaventure, mais cela aurait été fort mal connaître Uriel. Non pas qu'il eusse été incapable de se mettre en colère et de céder à l'impatience - il y était même plus disposé que la commune moyenne des gens (ceci étant même un bel euphémisme) - mais seulement qu'il ne retirait de cette situation qu'un sentiment d'extrême indifférence. Peut être n'était-il que trop sûr de lui et que son arrogance aurait tôt fait d'être convenablement résorbée, mais il avait cette étrange faculté de ne rien voir comme tout le monde, ou plutôt comme n'importe qui. Cela n'avait rien de ludique pour autant, ou simplement de distrayant. C'était simplement et banalement négligeable. Qu'il fasse grand jour ou petite nuit, Uriel n'était nulle part chez lui, nulle part à son aise. Nul lieu ne lui convenait, pas plus qu'un instant, ou qu'un individu. La seule chose que cela osait changer en cet instant était l'insupportable croissance et exagération de son caractère proprement sarcastique, et même cynique.

« Auraient-ils voulu emprisonner l'air de leurs doigts que ça n'aurait pas été plus vaniteux ! »

Un mince sourire s'étendit sur ses lèvres ; si ce n'était pas de la provocation, cela y ressemblait très probablement. Tout portait alors à croire qu'il était présentement d'humeur joueuse, et d'une impudence qui deviendrait vite gênante pour quiconque croiserait son chemin. Dans ces instants-là, il devenait parfaitement irritant, et irritable, prêt à tout par ruse et malice, tantôt taquin, tantôt perfide. Ceci dit, il l'était constamment. Uriel n'était pas quelqu'un de banalement méchant ou gentil, cela aurait été trop réducteur : non, lui était tout et son inverse. Ou plutôt, n'était-il ni l'un ni l'autre.

« Je déteste ce jeu, pensa-t-il soudainement, tant même qu'il s'en étonna peut être seul. » Car Uriel jouait bel et bien. A quoi donc ? Evidemment, on était hardeusement parvenu à l'entraîner dans la folie absurde et peut être stupide du cache-cache, activité ô combien faite pour toute autre que lui et pour laquelle il avait pourtant sacrifié de son précieux temps... tout cela pour les beaux yeux de Nelchael. «Nelchael, soupira-t-il intérieurement. » Il errait maintenant dans la pesante obscurité et s'il n'était en rien inquiété par l'environnement, il éprouvait néanmoins les violents affres du manque. Elle lui manquait. Pour sûr qu'il le niait, mais la tendance changeante dont venait de se vêtir son esprit lui indiquait bien toute la cruelle vérité. Que n'avait-il pas fait là de se laisser entraîné dans une piège aussi doux que grossier ! Déjà il céda à un rien de contrariété colérique.

Il n'eut guère le temps de goûter à cet état d'esprit, qu'à force de tourner méthodique deux fois sur trois à droite, il tomba nez-à-nez avec un individu vêtu d'ombre, faisant très probablement une tête de moins que lui, en rien comparable avec une silhouette dite "humaine" au premier abord. Qui que fût cette personne, il n'en saisit que cette image furtive qu'un clignement de paupière l'effaça. Quoi qu'il fût surpris d'une telle prouesse, il ne s'y arrêta pas et avança d'un pas vif. Piqué au vif dans sa curiosité, il n'aurait refusé en rien une telle énigme. Son sentiment effrayant et avide de jeu vint le posséder tout entier, jusqu'à le réduire à son état le plus enfantin. En plusieurs foulées, il fût de nouveau sur les pas de l'ombre mystérieuse. Qui l'eut cru qu'en un tel lieu ce fût lui qui cherchât quelle énigme pouvait le menacer, l'épier... le chasser ? Mais son impression d'approche croissante eut soudainement l'apparence d'un leurre, puisque, en moins de quelques secondes, il se trouva de nouveau fort malheureux d'être seul, et plus perdu que ne pouvait l'être un coutumier égaré. Scrutant l'obscurité alentours, il tenta d'en deviner un détail inopportun. En vain.

« Nelchael, murmura-t-il alors. Sauve-moi.
- Qui est Nelchael ? s'amusa une voix derrière lui. »

Faisant volte-face, Uriel perça l'opacité de son environnement pour re découvrir cette étrange silhouette qui eut, cette fois, des formes plus humainement acceptables. En fait, à s'approcher prudemment, il y vit même des traits, certes, curieusement dessinés, mais tout ce que l'on faisait de plus masculins. Sitôt qu'il eut identifié son ennemi, Uriel redevint fidèle à lui-même, non pas fort d'indifférence, de colère, d'impatience ou d'amusement, mais d'un excès grandissant de tout cela en même temps.

« Quel que soit son malice, l'on veut que réponse soit donnée avant la question ! lança un Uriel cruellement solennel, et pourtant d'une courtoisie inconvenante. Ami ou ennemi ? Questionna-t-il, sourire aux lèvres, trop conscient que son attitude et ses propos ainsi juraient.
- Peut être bien ton meilleur ennemi... ou ton pire ami.
- Fort bien, déclara-t-il en simple réponse. »

Et sitôt fait, il tourna les talons et répartit sur son propre chemin. Il savait fort bien qu'ainsi il venait d'interpeller la compréhension de son interlocuteur. Uriel, ce n'était jamais que cette inconstance incompréhensible et insaissable, car, dans le cas contraire, il aurait banalement comme toute autre, d'une acceptation redoutable et navrante - à ses yeux. Et ce n'était ainsi que d'autant plus facile d'obtenir l'attention de ses pairs. D'ailleurs, il ne s'y trompa pas, entendant presque aussitôt derrière lui chanter quelques mots dont les seuls qu'il comprit fût "Nelchael". Il ne s'arrêta pas et n'eut aucune surprise à être rattrapé quelques foulées ensuite. Son nouveau compère, étrange et fugace, s'éleva devant lui, dans une obscurité telle qu'il ne le distingua pas davantage qu'auparavant.

« Je sais où elle est, déclara l'inconnu. Et tu auras sûrement besoin de moi pour la retrouver. Préfères-tu alors un ami ou un ennemi, jeune imprudent ?
- Tout dépend, rétorqua Uriel dans un sourire irrésistiblement énigmatique.
- De ?
- De ton degré de collaboration, mon cher. »

Avant qu'un éclair de compréhension ne traversât les yeux de son interlocuteur, Uriel le saisit par le col et le traîna à sa suite. Le malheureux eut beau se débattre, il était, en effet, bien plus petit et même simplet que lui. En quelques foulées, et usant de sa mémoire infaillible en le sens qu'elle lui permettait d'enregistrer davantage de choses sur l'instant que dans le long terme, il fût à l'exact endroit où ils s'étaient tous deux trouvés à l'heure de leur rencontre. Personne ne pouvait en être sûr, probablement. Mais Uriel en était convaincu. Si bien qu'il prit son prisonnier par les épaules et le contraignit à se coucher au sol, sur le dos. Là, son genou vint se placer sur son abdomen et, dans un sourire d'un sadisme certain, il vint placer son index sur ses lèvres.

« J'espère que tu aimes jouer, mon ami, déclara ensuite Uriel en sifflant entre ses dents. Parce que nous allons nous adonner à un petit jeu sans doute plus distrayant pour toi que pour moi. Notre amitié va ici se déterminer... Sais-tu où nous sommes ?
- Oui.

- Tant mieux, rétorqua Uriel satisfait. Parce que tu vas avoir devant toi six alternatives pour me conduire à elle. Six. Entends-tu ? Si tu réussis du premier coup... soyons amis. Du second coup, je te laisserai partir. Du troisième... au sixième, crois-moi, tu préfèreras que nous soyons ennemis. Entendu ? »

Il le libéra et l'autre n'hésita pas une seule seconde à se relever, mais sitôt qu'il fit un vif pas en avant, Uriel le saisit par sa veste et le remit au sol. Cette chute sembla si amère que même Uriel n'eut pas l'esprit de sourire ou de s'en amuser. Difficile de savoir ce qui l'animait à cet instant ; sans doute ne voulait-il pas admettre qu'il voulait être avec Nelchael et que son comportement en devenait aussi croissant que son désir de la retrouver. Pour la torturer, peut être, mais de la retrouver néanmoins. Son jeune compagnon se redressa, et, sans la moindre hésitation, emprunta un premier chemin. Etonnamment confiant, Uriel le suivit avec non chalance, sur trois mètres de recul.

« C'est manqué, si je ne m'abuse, dit-il tandis que l'inconnu revenait sur ses pas. Oh, ne sois pas si défaitiste ! lança-t-il jovial en le gratifiant d'un tape sur l'épaule - et ce comportement étonna visiblement l'autre plus fort que raison.
- Qui est Nelchael pour te rendre si cruel, et si fou ? »

Malgré lui, Uriel sourit. D'un sourire pur et sincère pour une fois. Cela étant, il ne répondit pas, et poussa l'opportun devant lui, revenant ainsi sur leurs pas. Ils repartirent presque aussitôt. Uriel sentait la fébrilité chez son compagnon, non pas celle de la peur mais bien de l'excitation. Il savait très probablement qu'ils touchaient au but. Leur échange fort singulier allait ainsi se terminer, et ce n'en était pas plus mal. D'ailleurs, après une nouvelle errance de quelques instants, Uriel aperçut et identifia sans difficulté aucune la silhouette de Nelchael. En se tournant à demi, il surprit le sourire malin de son ancien guide.

« Tu vis ici, n'est-ce pas ? interrogea Uriel.
- Elle t'attent, rétorqua l'autre.
- M'en veux-tu de te refuser l'amitié ?
- Je t'en aurais voulu de me l'avoir concédée... Uriel, répondit-il en un clin d'oeil, temps qu'il lui fallut pour de nouveau disparaître. »

Et derrière le masque, qui se cache ?

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